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Prémisses de la recherche

 

Depuis deux ou trois décennies, le musée est devenu un objet de réflexion pour l’université à travers la prolifération et la diversification de programmes en muséologie ou en études muséales. Parallèlement, il est de plus en plus fréquent de voir les musées organiser leur programmation à partir de considérations qui mettent en scène certains aspects de leur histoire particulière. L’université n’a donc plus le monopole de l’autoréflexivité. Dans un tel contexte, les deux institutions qui fondent et incarnent la discipline de l’histoire de l’art entretiennent désormais une porosité plus grande que jamais où ces deux « têtes » institutionnelles sont loin d’avoir toujours eu des rapports harmonieux (Haxthausen : 2002 et Lamoureux : 2007). À l’origine, la plupart des musées ont été institués autour d’une collection ou plus souvent d’une collection de collections (Lacroix : 2008). Les évènements temporaires que sont les expositions se tenaient le plus souvent dans des lieux autres et, malgré leur succès, ils ne déterminaient pas significativement la pratique du musée au quotidien. Cette situation s’est modifiée au fil du 19e siècle, pour lequel comme le remarque déjà Flaubert dans le « Dictionnaire des idées reçues », l’exposition est un « objet de délire » (Hamon : 1989). On pense à l’engouement pour les expositions universelles (Mainardi : 1987), au succès grandissant des Salons et à son rôle déterminant dans la naissance d’un « public » (Crow : 1985). Depuis quarante ans, la confirmation de cet état de fait, intensifiée par la formule des blockbusters, a profondément déplacé la priorité des musées qui sont souvent davantage préoccupés de l’attractivité de leur programmation que du développement par l’acquisition ou la recherche sur leurs collections. Leur santé économique dépend du nombre des visiteurs et le nombre des visiteurs dépend à son tour d’une visibilité médiatique dont les conditions sont soumises à la logique de ce que nous appelons ici : l’impératif évènementiel. Les expositions (leur conception, négociation, concrétisation, médiatisation) accaparent une part de plus en plus large des ressources professionnelles de l’institution, dans un contexte économique difficile. Certes, les expositions génèrent des fonds mais elles coûtent aussi cher à organiser : elles exigent dorénavant des partenariats entre musées de même que des collections assez prestigieuses pour servir de monnaie d’échange : cette situation dessert la plupart des institutions canadiennes et québécoises dont les collections (en partie ou en totalité) ont souvent peu d’intérêt au-delà de nos frontières.

 

Le sens actuellement prévalant de la notion d’évènement, dans le contexte triomphant des industries culturelles et des réseaux sociaux, est paradoxal, dès lors qu’on remarque que, loin de ressortir à la logique d’une rupture dans le temps, de l’avènement, de l’imprévisible, l’évènement paraît dorénavant relever de la programmation. Nos calendriers électroniques et nos entrées sur les réseaux sociaux témoignent bien de cet état de fait, dans la mesure où l’évènement y figure comme une unité de mesure du temps, réglant et découpant le temps de nos activités, comme les minutes et les heures. À partir de ces considérations, CIÉCO entend contribuer, au-delà de la production anticipée d’un nouveau savoir autour des usages actuels des collections muséales, à l’avancement des connaissances dans le champ des études muséales et des sciences humaines. En effet, les publications les plus récentes sur la notion d’évènement (Dosse : 2012) ne paraissent pas tenir compte de sa dernière migration épistémologique, du champ de l’histoire à celui des communications, et elles continuent de l’envisager comme si seules l’histoire et la philosophie en déterminaient encore l’entendement premier. Or, les musées ont bien repéré cette migration dont les conséquences épistémologiques et l’impact sur les collections restent à élaborer plus théoriquement.

 

Cette réflexion autour de l’évènement vise à retracer la migration épistémologique de la notion et sa traversée des champs de l’histoire (Braudel : 1969 et Dosse : 2012), de la pensée politique (Arendt : 1989), de la philosophie (Deleuze : 1969 ; Derrida : 1972 et Derrida : 2001 ; Foucault : 1966 et Ricœur : 1984), de l’anthropologie (Augé : 1984 et Olazabal : 2006), des études muséales (Tobelem : 2010) et des communications (Davallon : 1992). Un des enjeux consiste à mesurer comment cette traversée étaie en synchronie et en décalage les définitions actuelles de l’évènement.

 

 

Références bibliographiques :

 

ARENDT, Hannah (1989). Penser l’événement : recueil d’articles politiques, Paris : Belin.

AUGÉ, Marc (1984). « Ordre biologique et ordre social : la maladie, forme élémentaire de l’événement », AUGÉ, Marc, Claudine, HERZLICH (Dir.). Le Sens du mal : Anthropologie, histoire, sociologie de la maladie, Paris : Éditions des Archives contemporaines, p. 35-92.

BRAUDEL, Fernand (1969). « Histoire et sciences sociales : La longue durée », Écrits sur l’histoire, Paris : Flammarion, p. 41-83.

CROW, Thomas (1985). Painters and Public Life in Eighteenth-century Paris, New Haven
(Ct.) : Yale University Press.

DAVALLON, Jean (1992). « Le musée est-il vraiment un média ? », Public et musées, 2, décembre, p. 99- 123.

DELEUZE, Gilles (1969). Logique du sens, Paris : Minuit.

DERRIDA, Jacques (1972). « Signature, événement, contexte », Marges de la philosophie, Paris : Les Éditions de Minuit, p. 365-393.

DERRIDA, Jacques, Alexis, NOUSS, Gad, SOUSSANA (2001). Dire l’événement, est-ce possible ?, Paris : L’Harmattan.

DOSSE, François (2012). Renaissance de l’événement : un défi pour l’historien, entre Sphynx et Phénix, Paris : Presses Universitaires de France.

FOUCAULT, Michel (1966). Les mots et les choses : une archéologie des sciences humaines, Paris : Gallimard.

HAMON, Philippe (1989). Expositions, littérature et architecture au XIXe siècle, Paris : J. Corti.

HAXTHAUSEN, Charles (2002). The Two Art Histories: the Museum and the University, Williamstown (Mass.) : Sterling and Francis Clark Art Institute.

LACROIX, Laurier (2008). « La collection comme temps de la Nation : les premières acquisitions du Musée de la province de Québec en 1920 ». Les Cahiers des dix, n° 62, p. 123-151. Texte en ligne [http://www.werudit.org/apropos/utilisation.html].

LAMOUREUX, Johanne (2007). Profession, historienne de l’art, Montréal : Presses de l’Université de Montréal.

MAINARDI, Patricia (1987). Art and politics of the Second Empire : the Universal Expositions of 1855 and 1867, New Haven (Ct.) : Yale University Press.

OLAZABAL, Jean-Ignace, Joseph J. LÉVY (Dir.) (2006). L’événement en anthropologie, concepts et terrains, Québec : Presses de l’Université Laval.

RICOEUR, Paul (1983-1985). Temps et récit, 3 tomes, Paris : Seuil.

TOBELEM, Jean-Michel (2010). Le nouvel âge des musées : les institutions culturelles au défi de la gestion, Paris : Armand Colin.